Par Annette Mogoum, MA
[dropcap type=”circle” color=”#FFFFFF” background=”#8C212A”]L[/dropcap]a bonne gouvernance figure au cœur des politiques de développement promues par les institutions financières internationales. Elle représente pour les bailleurs de fonds un des pré-requis d’une véritable transformation des pays en voie de développement. Le NEPAD (New Partnership for Africa’s Development) considère la pratique de la bonne gouvernance comme condition sine qua none de l’atteinte des objectifs de développement de l’Afrique. Ses principes ont été mis en avant dans certains textes adoptés par l’Union africaine tels que la Convention de l’UA sur la prévention et la lutte contre la corruption en 2003 ou encore la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance en 2007. Mieux, l’organisation panafricaine a fait de la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice et l’état de droit une des aspirations de son agenda 2063 pour la transformation de l’Afrique.
C’est dire que, dans le contexte africain comme ailleurs, la bonne gouvernance est perçue en tant qu’ingrédient incontournable d’un développement durable. Ceci peut expliquer, du moins en partie, pourquoi les bonnes performances économiques de certains pays africains ces dernières années tardent à être suivies par l’amélioration des conditions de vie des populations. En effet, le développement est un objectif global qui intègre non seulement une dimension économique mais également une dimension sociale et politique. Dans ce dernier axe, la bonne gouvernance facilite une utilisation efficiente et efficace du potentiel et des ressources dont dispose chaque pays pour son développement. Elle comprend comme principes essentiels la transparence, la participation, la responsabilité, la gestion efficace, l’équité, l’état de droit, le contrôle de la corruption. Loin d’être un luxe pour les pays africains, la bonne gouvernance est une nécessité au regard des nombreux rapports qui font état de ce qu’elle ne serait pas toujours la valeur la mieux partagée sur le continent.
En ce qui concerne la lutte contre la corruption, l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) mis en place par l’ONG Transparency International permet de classer les pays du monde entier en fonction du degré de corruption perçu dans leurs administrations publiques respectives. Les statistiques montrent que près des 2/3 des pays africains ont besoin d’une cure de « désintoxication » de ce fléau qu’est la corruption. Dans le dernier rapport publié en janvier 2016 par l’ONG, la tendance n’a pas connu beaucoup de changements. Toutefois, quelques pays ont expérimenté des avancées dans ce domaine ; le Rwanda se distingue particulièrement dans ce sens. En 2014, il a été classé en 7e position des gouvernements les plus efficaces au monde par le Forum Economique Mondial. Selon le rapport 2015 de Transparency International, il est le 44e pays le moins corrompu au niveau mondial et le 4e en Afrique. Au niveau de la Communauté d’Afrique de l’Est, le Rwanda est 1er au classement. Ces résultats ont été obtenus grâce à une politique intense de lutte contre la corruption menée par le gouvernement depuis plusieurs années et qui s’illustre à la fois sur les plans institutionnel, judiciaire mais aussi par une sensibilisation et une participation consciente des citoyens.
En effet, les autorités rwandaises font, depuis plus d’une décennie, de la lutte contre la corruption une de leurs priorités. C’est dans cette perspective qu’a été créé, en 2003, l’office de l’Ombudsman, structure étatique chargée de la politique nationale anti-corruption. Le gouvernement a également encouragé la création des Centres d’Assistance Juridique et d’Action Citoyenne qui assistent les populations des régions reculées, afin que la lutte contre la corruption soit efficace, aussi bien en ville qu’à la campagne. Sur le plan judiciaire, les contrevenants et coupables d’actes de corruption s’exposent à l’emprisonnement et à des sanctions lourdes. Le Rwanda possèderait le pouvoir judiciaire le moins corrompu et le plus fiable d’Afrique de l’Est. Par ailleurs, le Rwanda a également mis un aspect particulier sur l’éducation et l’implication de différents acteurs de la société dans cette lutte. Le gouvernement consent des efforts pour mobiliser la population autour de la lutte contre ce fléau et pour l’éducation des jeunes générations quant aux vertus de la bonne gouvernance en tant que pilier du développement. Un numéro vert a été mis en place pour signaler aux autorités toute expérience de malversation. La lutte contre la corruption n’y est pas l’apanage de la machine étatique mais elle s’appuie également sur un partenariat associant le public au le privé. Les retombées pour le développement du pays sont multiples. Il jouit de la confiance des bailleurs de fonds et diversifie son partenariat. Le contrôle de la corruption a pour effet d’assainir le climat des affaires et contribue à créer un environnement propice aux investissements publics ou privés, étrangers ou nationaux, ce qui en fait un levier de progrès.
Dans un effort similaire, le Cameroun a également pris plusieurs initiatives en vue de combattre ce fléau social. Sur le plan institutionnel, plusieurs organismes ont vu le jour. C’est le cas du Contrôle Supérieur de l’Etat (CONSUPE), de la Commission Nationale anti-corruption (CONAC) ou encore de l’Agence Nationale d’Investigation Financière (ANIF). Sur plan juridictionnel, l’on peut relever la naissance d’une institution de criminalisation de la corruption au Cameroun à savoir le Tribunal Criminel Spécial. Toutefois, bien qu’ils jouent un role non négligeable, ces organes ne suffisent pas à dissuader les auteurs des actes de corruption. Le pays continue malheureusement d’occuper une place parmi les pays les plus corrompus au monde (130e sur 168 selon le rapport de Transparency International 2015). Au Cameroun tout comme dans de nombreux pays africains, la corruption continue à sévir presque de manière endémique. L’on pourrait comprendre que la lutte contre la corruption ne se limite pas à un aménagement politique et institutionnel ou aux campagnes anti-corruption axées sur des objectifs trop étroits mais doit s’accompagner d’une réelle prise de conscience de ses effets néfastes par tous. La corruption est un véritable frein au développement, elle est source de l’évaporation du budget de l’Etat, elle entretient des inégalités sociales et altère l’image du pays au-delà des frontières. Aussi, les politiques de lutte contre la corruption devraient aussi privilégier et s’appuyer sur l’éducation. C’est en effet par l’éducation que sont transmises certaines valeurs citoyennes et morales à chaque individu dans le but de le transformer et de transformer profondément et durablement la société.
Annette Mogoum est Analyste de Politique de Développement au Nkafu Policy Institute, Think-Tank Camerounais à la Denis & Lenore Foretia foundation. Email: [email protected]