Par Annette MOGOUM * (Analyste en Politique de Developpement)

Des atouts naturels pour une émergence certaine

Annette Mogoum[dropcap type=”circle” color=”#FFFFFF” background=”#8C212A”]L[/dropcap]e Cameroun a toujours placé le développement socio-économique au centre de sa politique nationale. Dans sa vision actuelle, le pays poursuit ses efforts de développement avec l’objectif affirmé de devenir un pays émergent à l’horizon 2035.

L’émergence qualifie le stade intermédiaire entre le sous-développement et le développement. Elle a une dimension à la fois économique, sociale et politique. Ainsi, les pays émergents sont ceux-là qui accélèrent harmonieusement leur croissance économique et dont le niveau de vie des populations et les structures politiques convergent vers ceux des pays développés. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde, la Turquie, etc.

Le Cameroun dispose de nombreux atouts pour soutenir sa croissance économique. C’est à juste titre qu’il est appelé « Afrique en miniature », en référence à la riche diversité de son sol, de son climat, de son relief, de sa démographie, de sa faune, de sa flore et de ses ressources naturelles. Doté d’un potentiel remarquable, le second en Afrique après la République démocratique du Congo (RDC), il est loisible d’affirmer que le Cameroun dispose des avantages comparatifs suffisants pour promouvoir une économie prospère à l’aide des potentialités de son sous-sol. Chaque élément de cette géographie peut constituer un levier important à actionner pour promouvoir son développement et sa croissance économique.

Le sous-sol Camerounais est densément riche, et en harmonie avec des ambitions de développement durable. Le gisement de nickel-cobalt-manganèse de Lomié dispose des réserves évaluées dans la réserve de Nkamouna à 54,7 millions de tonnes. Les réserves partielles du gisement de fer de Mbalam sont évaluées à 200 millions de tonnes de fer riche et 1,2 milliards de fer pauvre. Le gisement de bauxite de Minim-Martap et Ngaoundal dispose de plus d’un milliard de tonnes de réserves. Il en est de même des gisements de diamant de Mobilong, d’uranium de Poli et de rutile d’Akonolinga qui sont respectivement évalués à 750 000 000 de carats, 13125 tonnes et 3 millions de tonnes. (Les Atouts Economiques du Cameroun, ed. 2012, 147 ff).

Paradoxes de l’abondance et de la malédiction des ressources

Paradoxalement, le Cameroun souffre d’un déficit énergétique et infrastructurel. Ce désavantage plombe l’activité économique et industrielle, avec une incidence néfaste sur la croissance. Ce déficit préoccupe tant les ménages que les entreprises génératrices d’emplois et de richesses. Il en résulte donc une hypothèque sur la longue marche engagée vers la croissance.

La simple disponibilité de ce potentiel en ressources ne suffit pas pour en tirer partie. En Afrique, plusieurs pays dotés d’un fort potentiel en ressources naturelles – à l’instar de la DRC, de l’Angola, du Niger, du Tchad, de la Zambie et de la République Centrafricaine – figurent aux rangs des pays dits sous industrialisés. Ce hiatus entre le potentiel énergétique et le faible niveau de développement a poussé certains auteurs tels que Richard Auty et Gilles Carbonnier à parler de la « malédiction des ressources » ou du « paradoxe de l’abondance » (à ce sujet, voir R. Auty, Resource-Based Industrialization: Sowing the Oil in Eight Developing Countries, Clarendon Press, Oxford, 1990 ; G. Carbonnier, « Comment conjurer la malédiction des ressources naturelles ? », Annuaire Suisse de Politique de Développement, vol 26, 2007, 83ff ; et Banque africaine de développement, « l’Afrique et ses Ressources naturelles : le paradoxe de l’abondance », in African Development Report 2007, chap 4). Il devient donc judicieux de s’interroger sur la manière par laquelle l’exploitation des ressources naturelles du Cameroun peut contribuer à son essor économique.

Socle de la croissance et du développement durable

Les ressources naturelles dont dispose le Cameroun peuvent être le socle de son émergence. Leur exploitation optimale peut avoir plusieurs répercussions favorables sur le tissu économique. Sans être exhaustif, nous pouvons citer la création d’emplois, la réduction de la pauvreté, l’équilibre de la balance commerciale, la compétitivité de l’économie nationale dans un contexte de mondialisation, la résorption du déficit énergétique, le boom infrastructurel et la création des industries à haute intensité de main d’œuvre (cf l’initiative HIMO).

En tout état de cause, l’exploitation des ressources naturelles pourrait permettre de résoudre le problème de la croissance et de l’emploi qui sont les deux objectifs principaux poursuivis par le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi (DSCE).

Au regard des avancées dans le domaine de l’exploitation des ressources naturelles au Cameroun, nous pouvons cerner une réelle considération de ce potentiel comme moteur du développement. Et pour cause, les objectifs poursuivis dans ce secteur visent à favoriser la transformation des ressources naturelles nécessaires au développement socio-économique du pays. Plusieurs projets structurants ont été initiés à l’instar du pipeline Cameroun -Tchad, du port en eau profonde de Kribi, du fer de Balam, de la mini-centrale hydro- électrique de Mekin (sur le fleuve Dja), de la centrale à gaz de Mpolongwé (Kribi), pour ne citer que ceux-là.

Première unité du pays utilisant le gaz naturel, la centrale à gaz de Kribi, d’un coût total de plus de 150 milliards de FCFA, en plus d’employer 900 personnes, va injecter 216 mégawatts extensibles à 330 mw dans le réseau interconnecté sud. Il fournira du gaz naturel issu d’un nouveau champ gazier qui va être mis sur pied et exploité. Selon les experts, cette unité permettra d’augmenter la fourniture de gaz domestique car la Société nationale des Hydrocarbures (SNH) entend récupérer une partie du gaz naturel qui y est livré pour le liquéfier et le proposer aux consommateurs sous forme de gaz domestique. (Moane Ehindi, « Énergie électrique: le Cameroun construit sa première centrale à gaz », Cameroon Report, 20/06/2014).

Sur le plan institutionnel, tout un département ministériel s’occupe des mines, de l’industrie et du développement technologique. Des réformes ont également été menées concernant le code minier, la gestion durable des ressources, avec des structures de régulation telles que la Caisse de Stabilisation des Prix des Hydrocarbures (CSPH) ou la SNH.

Plaidoyer pour une valorisation optimale des potentialités naturelles

Cependant, il serait simpliste de dire que le potentiel existant en matière de ressources naturelles est pleinement valorisé. Pour l’instant, le pétrole seul représente encore 50 % des exportations du pays. En plus, l’exportation de ces produits à l’état brut ne permet pas au Cameroun de bénéficier de la valeur ajoutée qu’aurait créée leur transformation sur place. Le déficit d’infrastructures modernes et performantes figure ainsi parmi les carences à relever pour que ce potentiel soit avantageusement exploité.

L’un des problèmes majeurs ici est la non-compétitivité du secteur industriel. Le développement des industries, qu’elles soient extractives ou manufacturières, nécessitera des investissements. A cet effet, il y a un travail à faire pour attirer les Investissements Etrangers Directs et développer le Partenariat Public/Privé (PPP). Ceci requiert la pratique de la bonne gouvernance et l’amélioration des connaissances des investisseurs étrangers et nationaux sur le potentiel du pays et la mise à leur disposition des données géologiques et socio-économiques fiables. Ceci pose aussi problème de l’identification des sites abritant ces ressources naturelles, l’exécution des études, la répartition et l’allocation équitables des richesses produites.

Par ailleurs, il est à noter que la valeur de ces ressources est généralement fixée dans les enceintes internationales, ce qui réduit la marge de manœuvre du pays. En outre, ces ressources naturelles sont en principe périssables, d’où l’impérieuse nécessité de la diversification des secteurs de la croissance économique.

En guise de conclusion

Certains théoriciens, en occurrence les physiocrates, considèrent les ressources naturelles comme la principale source de richesses susceptibles de satisfaire aux besoins vitaux des sociétés. Pour devenir émergent, les décideurs camerounais doivent explorer les voies tant endogènes qu’exogènes.

En définitive, l’exploitation des ressources naturelles du Cameroun est susceptible d’avoir des répercussions positives pouvant favoriser son développement au regard de l’objectif d’émergence en 2035. Cette exploitation est en cours mais bute encore sur certaines difficultés qu’il est important de résoudre pour une contribution optimale. Du reste, l’émergence étant un objectif global, elle requiert des apports multiples et diversifiés de tous les domaines de l’économie. Pour ce faire, la valorisation du tissu industriel national et la résorption du déficit énergétique et infrastructurel sont primordiales.

*Annette MOGOUM est une Analyste en Politique de Developpement à l’Institut Politique Nkafu, un think-tank camerounais à la Fondation Denis et Lenora Foretia à Yaoundé. Elle peut être contactée sur [email protected]