Par Annette Mogoum, MA

Le développement de l’Afrique, une aspiration légitime et projetée
2fC’est presque une lapalissade de dire que l’Afrique a besoin de réaliser son développement. Bien que nantis d’abondantes ressources naturelles et humaines, les Etats africains ont de nombreux défis à relever aux plans politique, économique, socioculturel et scientifique pour franchir le cap de l’émergence. Cette dernière est une aspiration profonde, récurrente dans les discours et dans les fora internationaux préparant l’Afrique à un glorieux futur. L’un des plus récents de ces fora, le Rebranding Africa Forum, a vu présenté un guide proposant 50 idées clés pour l’émergence de l’Afrique.

L’Afrique ne manque pas d’initiatives ou, pour être plus précise, plusieurs initiatives ont déjà été prises sur et hors du continent depuis les indépendances pour planifier son développement. En effet, développement et planification vont de pair. La planification est un exercice nécessaire et indispensable à toute organisation qui se veut prospère. C’est une projection à court ou à long terme d’objectifs soigneusement précisés que l’on se propose d’accomplir dans un effort organisé et continu. Cette projection stratégique du développement en Afrique émane à la fois des dirigeants des Etats, des instances sous-régionales et régionales. D’autres sont conçues dans des cadres multilatéraux et internationaux. Existe-t-il cependant une complémentarité entre-elles ?

Visions endogènes du développement de l’Afrique
Dans la dynamique d’impulsion du développement, les Etats sont concernés au premier chef. L’expression « Etat développementiste » désigne un Etat qui place le développement économique comme la priorité première de la politique du gouvernement et est capable de concevoir des instruments efficaces pour promouvoir un tel objectif. C’est dans ce cadre que sont conçus des documents de planification complets à l’instar des Documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté (DSRP) et d’autres documents beaucoup plus ambitieux assortis de stratégies de croissance et de développement social. Leur rôle est de trouver le meilleur chemin qui mène à la transformation économique du pays, de s’assurer à tout instant que les activités menées évoluent dans le sens souhaité et de procéder à des éventuels ajustements en cas d’errements.

Aussi, au niveau national, certains Etats africains sont engagés dans des dynamiques de développement afin de créer les conditions d’une croissance durable. Plusieurs ont fixé le cap de leur émergence entre 2020-2035. Le Cameroun, par exemple, a opté pour une vision à long terme du développement voulant un Cameroun émergent, démocratique et uni dans la diversité à l’horizon 2035. Le Gabon l’a conçu à l’horizon 2025 au travers du Plan Gabon émergent. Il en est de même pour le Plan National de Développement en Côte d’ivoire dont l’objectif est d’en faire un pays émergent à l’horizon 2020 et le Plan Sénégal Emergent (PSE) à horizon 2035 initié par le Président Macky Sall.

L’intégration sous-régionale est aussi une stratégie de croissance pour les Etats africains. En tant que processus par lequel des pays d’une même zone géographique se constituent en un espace économique unique, elle facilite la libre circulation des biens et des personnes, la réalisation d’économies d’échelle, la création des infrastructures, des réseaux de transport, et les projets d’investissement entre pays africains, toutes choses qui contribuent à la répartition optimale des ressources communes. Ainsi, l’ambition des Communautés Economiques Régionales (CER) en Afrique est de promouvoir un développement intégré et harmonisé.

En Afrique centrale, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) a mis sur pied le Programme Economique Régional dénommé PER qui répond à une vision de l’avenir de la sous-région à l’horizon 2025. Son objectif est de « Faire de la CEMAC un espace économique intégré émergent où règnent la sécurité, la solidarité et la bonne gouvernance, au service du développement humain ».  En Afrique de l’ouest, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) a son propre Programme Economique Régional qui ambitionne d’accélérer et de renforcer le processus d’intégration régionale et de soutenir la croissance économique par la mise  en œuvre des projets structurants et intégrateurs dans tous les pays membres de l’Union.

Au plan régional et continental, de l’Organisation pour l’Unité Africaine (OUA) à l’Union Africaine (UA), on enregistre plusieurs initiatives orientées vers le développement de l’Afrique. Le plan d’action de Lagos 1980-2000 adopté en 1980 au Nigéria a eu le mérite d’avoir constitué la première amorce dans le processus de projection du développement économique de l’Afrique, même s’il n’a pas réussi à engager véritablement le continent sur la voie de celui-ci. Le 3 Juin1991, les Etats africains ont signé le Traité d’Abuja instituant la Communauté économique Africaine à l’horizon 2025. Il est entré en vigueur le 12 mai 1994 et reste encore à matérialiser. Conscient de l’énorme retard pris par le continent, les leaders africains ont élaboré, courant 2001, un plan de développement basé sur des efforts internes et un partenariat avec les bailleurs de fonds. C’est dans ce contexte qu’il faut situer le Millenium African Plan (MAP), le plan OMEGA et plus tard le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD). Dès son lancement au sommet de l’UA en 2002 à Lusaka, le NEPAD a été annoncé comme la plus importante initiative de développement issue du continent africain depuis plusieurs décennies. Globalement, il vise à promouvoir un cadre socio-économique intégré de développement pour l’Afrique par la prise en compte des défis majeurs qui se posent au continent.

Ce foisonnement de plans stratégiques est une illustration éloquente de la volonté des dirigeants africains à faire sortir le continent du cercle vicieux du sous développement. Elles traduisent également l’acceptation par les africains de leurs propres responsabilités dans la promotion d’un développement économique, politique et socioculturel, endogène et auto-entretenu. Cependant le continent n’est pas exempté des programmes de développement plus globaux venant des organisations internationales, ni des directives de quelques bailleurs de fonds conditionnant l’aide publique au développement.

Le développement de l’Afrique programmé de l’extérieur
La société internationale contemporaine évolue dans un contexte de mondialisation caractérisée par une participation commune aux défis mondiaux. L’ONU, au travers de ses institutions, a contribué à une conscientisation graduelle aux défis de développement qui interpellent les pays. De même que les Programmes d’Ajustements Structurels (PAS) exigeaient des Etats une voie à suivre pour surmonter les difficultés de la transformation socio-économique, d’autres programmes ont été pris au niveau international à l’instar des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) adoptés par les chefs d’États au Sommet du Millénaire de l’ONU qui s’est tenu du 6 au 8 septembre 2000 à New York. Ces huit objectifs devaient en principe être atteints en 2015. Malgré les efforts déployés, beaucoup d’insuffisances ont été notées et on parle aujourd’hui de l’agenda post 2015. En effet, pour leurs succéder, l’ONU a travaillé avec les gouvernements et les différents partenaires pour exploiter la dynamique dégagée par ces OMD et élaborer un programme ambitieux pour l’après-2015 : les Objectifs de Développement Durable (ODD) à l’horizon 2030 adoptés en Septembre dernier. L’Afrique demeure l’une des principales cibles de ces plans comme en témoigne le nombre de rapports publiés sur la problématique du développement de l’Afrique par les institutions internationales. Ils aideraient ainsi à réduire les disparités entre le continent et le monde développé.

Au final, ce sont plusieurs intrants qui s’imbriquent dans le cadre de la planification du développement en Afrique. Si chacune de ces initiatives renferme des idées porteuses d’espoir pour la transformation socio-économique des pays africains et l’avenir du continent, elles peuvent paraître concurrentes et inopérantes si une coordination réelle n’est pas mise en place.

Le défi de la coordination
Au regard de la multiplication des visions, des stratégies, des programmes, des agendas et des horizons divers en faveur du développement du continent et de ses Etats, on pourrait se demander s’il ne se pose pas un problème de complémentarité et de synchronisation entre les plans nationaux, régionaux, continentaux et internationaux.
En effet, les différences dans les projections peuvent se révéler être une véritable difficulté pour les Etats chargés de les implémenter au niveau national. C’est principalement à eux que revient la tâche de concilier, en formulant leurs stratégies nationales, développement auto-entretenu et questions prioritaires au plan international. Les stratégies nationales de développement vont désormais plus loin que l’objectif trop étroit de la réduction de la pauvreté et prennent souvent en considération divers objectifs ou cadres de développement adoptés au niveau mondial, continental et sous-régional. Pour plus de cohérence, la stratégie nationale d’un pays africain devrait donc trouver des moyens de répondre aux objectifs de développement durables tout en intégrant les axes prioritaires au niveau régional.

Par ailleurs, les programmes de développement extérieurs au continent ne sauraient ignorer les initiatives endogènes. Le fonctionnement du NEPAD est d’ailleurs soutenu par plusieurs institutions internationales telles que la Banque mondiale. Bien plus que des obligations imposées aux pays, les stratégies dépassant le cadre national devraient être vues comme des indications utiles pour la mise en œuvre d’un développement durable et global. Dans ce sillage, l’Institut Africain de développement économique et de planification (IDEP) de l’ONU a pour mandat principal d’accompagner les gouvernements africains dans le renforcement des capacités dans les domaines de la gestion économique et de la planification. S’agissant des partenaires de développement, la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide publique au développement du 2 mars 2005 offre un moyen de coordination dans la mesure où l’aide au développement devrait s’aligner sur la planification des pays et respecter un ensemble d’axes stratégiques élaborés sur la base des priorités nationales.

Toutefois, même si l’objectif ultime et commun est la croissance économique et la transformation structurelle des pays, il demeure néanmoins quelques difficultés dans la définition des agendas car il bien ardu de comprendre comment un Etat pourra être émergent dans la sous-région et ne pas encore l’être au niveau national ou l’inverse.

Maintenir le cap
En bref, depuis plusieurs décennies, des plans prometteurs se succèdent aux niveaux national, sous-régional, continental et international pour le développement socioéconomique de l’Afrique. Ils constituent indubitablement des guides qui tracent une voie à suivre pour l’émergence du continent et de ses Etats. Malheureusement, certaines de ces initiatives sont tombées en désuétude sans véritablement porter les fruits escomptés pour des raisons liées aux déficiences découlant de la conception et de la mise en œuvre des documents de planification, des faiblesses institutionnelles et des chocs exogènes. Au demeurant, talonné par une mondialisation qui risque de laisser le continent à la traîne, le plus important n’est pas seulement de multiplier les cadres de planification du développement en Afrique mais de s’attacher à traduire ces aspirations en résultats concrets afin que l’Afrique puisse effectivement franchir le cap de l’émergence qui s’ouvre devant elle.

***

Annette MogoumAnnette MOGOUM est une Analyste en Politique de Developpement à l’Institut Politique Nkafu, un think-tank camerounais à la Fondation Denis et Lenora Foretia à Yaoundé. Elle peut être contactée sur [email protected]

+ posts