Par Julienne Stéphanie Nouetchognou, MPH 

Boko haram health[dropcap type=”circle” color=”#FFFFFF” background=”#8C212A”]D[/dropcap]epuis les cinq dernières années, le Nigeria fait face au groupe terroriste Boko Haram, qui a jusqu’ici été responsable de nombreux attentats meurtriers. Depuis le début de l’année 2014, ces attaques ont été particulièrement vicieuses, en ciblant les lieux publics et stratégiques tels que les marchés, les hôpitaux, les casernes, les écoles des pays situés dans le bassin du lac Tchad. Cela a entraîné le déplacement massif de milliers de civils dans tout le Nigeria et dans les pays voisins. L’insurrection de Boko Haram est associée à des questions telles que l’alimentation, l’accès à l’eau et à un logement décent, ainsi que les droits fondamentaux. Le 10 mai, 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés avait enregistré 42.242 Nigérians qui avaient trouvé refuge au Cameroun en raison des attaques de Boko Haram (HCR).

De ce qui précède, les questions suivantes peuvent être soulevées et seront abordés dans l’ordre tout au long de cet article : Quel est l’impact de cette insurrection sur les plans sanitaires et socio-économiques au Cameroun? Quelles sont les recommandations politiques appropriées pour le gouvernement du Cameroun qui cherche à répondre à cette insurrection?

Les conséquences sur la Santé Publique

Depuis mai 2013, les attaques de Boko Haram se sont intensifiées le long de la frontière nord-ouest du Cameroun, résultant dans le pillage de villages et les meurtres de civils innocents, ainsi que les enlèvements de masse. Au Cameroun, ces attaques ont été caractérisées par des meurtres, des attentats à la bombe, des vols, et la destruction de biens (y compris des écoles, les foyers et les entreprises) dans la région de l’Extrême Nord. L’effet terrorisant sur la santé publique et les conditions socio-économiques est devenu si dévastateur que la plupart des institutions et des entreprises ont fermé dans de nombreux villages.

La présence accrue de Boko Haram dans l’Extrême Nord constitue une menace immédiate pour la santé des communautés touchées parce que les programmes de santé publique de contrôle et de prévention des maladies ne peuvent pas être effectués dans de telles circonstances. Les activités vaccination par exemple dans la région ont été en proie à l’insécurité depuis le début de l’année 2014, lorsque la secte Boko Haram a commencé à étendre ses attaques initialement au Nigeria au Cameroun. Au moins neuf (09) des trente (30) Districts de Santé de la région de l’Extrême Nord ont été directement touchés, les femmes et les enfants étant les plus affectés. De même, l’accès de la population locale aux soins de santé est difficile, car certaines cliniques ont été fermées en raison de l’insécurité.

L’afflux de réfugiés nigérians dans le nord du Cameroun a également un impact sur les services de soins de santé locaux, qui étaient malheureusement déjà peu équipé pour prendre en charge les nombreux cas. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), en Avril 2015, un nombre estimatif de 106.000 Camerounais vivant dans les communautés frontalières au Nigeria avaient également été déplacés à l’intérieur Région de l’Extrême Nord du pays. De nombreux de personnel de santé ont déserté la région avec pour conséquences une aggravation de l’insuffisance en personnels de santé déjà existantes dans la région. Ce mouvement constant de personnes rend particulièrement difficile les activités de vaccinations infantiles. Le vaccin oral contre la polio par exemple nécessite l’administration de 4 quatre doses, à quatre semaines d’intervalle afin d’être pleinement efficace. Etant donné que les populations se déplacent d’un village à un autre afin d’échapper aux attaques, il devient très difficile pour les personnels de santé d’assurer de suivi de l’administration de toutes les doses et de bien estimer les populations cibles et celle déjà couvertes.

En outre, l’absence de surveillance des mouvements des populations par le système national de surveillance et les lacunes dans les mécanismes de collecte de données démographiques rendent difficile la compréhension de la façon dont les facteurs de risque sont redistribués dans la population du fait des déplacements multiples. Cela conduit au mieux à des efforts d’intervention qui sont fragmentés, et généralement inadéquats. Dans le camp de réfugiés de Minawao dans la région Extrême-Nord, la population a atteint un niveau où une action plus urgente doit être menée afin de construire davantage de tentes d’installations sanitaires telles que les toilettes et les puits. Selon le HCR, une toilette dans le camp de Minawao est partagé par 136 personnes en moyenne tandis que la norme internationale pour les situations d’urgence telles que les camps de réfugiés est une latrine pour 50 personnes. Pourtant, dans le camp Minawao, d’autres besoins urgents ne sont toujours pas adéquatement couverts. Les principales préoccupations comprennent l’accès à l’eau potable et l’assainissement, avec seulement 60% des besoins en eau couverts.

D’autre part, la plupart des personnes déplacées à l’intérieur du territoire (IDP) vivent dans des familles d’accueil, et leurs besoins ne sont ni évaluées, ni pris compte par le gouvernement, local, ou les acteurs internationaux. Ceux qui vivent dans des camps recevoir des secours, mais ont un d’accès très limité à une alimentation saine, à des articles ménagers essentiels, et à des soins de santé de qualité. Les risques liés au faible accès à la protection sont très répandus dans les zones qui souffrent des conflits et de la violence, et beaucoup de personnes ont peur de rentrer chez eux. Si leur propriété a été endommagée ou détruite par des conflits ou des catastrophes naturelles, de nombreuses personnes déplacées ne disposent pas d’une habitation vers laquelle rentrer. Le statut de IDP viendra souvent avec beaucoup de conséquences, car elle expose le concerné à des victimisations de toutes sortes. D’un autre côté, les individus infectés par le VIH, la tuberculose et d’autres maladies chroniques, telles que l’hypertension et le diabète, se retrouvent sans traitement pendant une longue période de temps, soit à cause des déplacements constants, de la fermeture de certains centres de traitement et des pharmacies, ou en raison de l’extrême la pauvreté.

Avant l’insurrection de Boko Haram, la région de l’Extrême Nord du Cameroun souffrait déjà de malnutrition chronique, avec plus de 17,9% des ménages en situation d’insécurité alimentaire (enquête démographique et de santé, 2011). Avec l’augmentation de l’insécurité, les déplacements, la baisse des revenus, l’accès limité aux soins de santé, à l’alimention, à l’eau et l’assainissement, il est plus probable que la situation continuera à se détériorer. Selon le HCR, 545.500 personnes sont à risque d’insécurité alimentaire dans la région, avec 194.500 enfants à risque de malnutrition, dont 64 570 exposés à la malnutrition aiguë sévère.

Les conséquences sociales

Une évaluation menée dans les quatre Départements de la région de l’Extrême Nord les plus touchés par cette insurrection (Diamare, Logone et Chari, Mayo-Sanaga, et Maya-Sava) par l’UNICEF et le Ministère de l’éducation de base a révélé que jusqu’à 120 écoles ont été forcés de fermer dans dix districts pour l’année scolaire 2014-2015, avec de nombreux bâtiments désormais occupés soit par la population déplacée, soit par des groupes armés. On estime que plus de 29.000 élèves sont à risque de perdre la totalité année scolaire en raison de la fermeture des écoles. Même dans les écoles qui n’ont pas été contraintes de fermer, le conflit a eu un impact sur la présence des enseignants, avec près de 383 enseignants du primaire reportés absents. Pour le Ministère de l’Economie, la plannification et l’aménagement du territoire du Cameroun (MINEPAT), Boko Haram a conduit à une chute drastique du nombre de touristes dans les sites touristiques tels que ceux de Waza et de Rhumsiki. Les autres secteurs de l’industrie les plus touchés par l’insurrection incluent l’hôtellerie, le transport, le commerce, l’agriculture et l’élevage.

L’insécurité qui règne a également conduit à un ralentissement ou un abandon des grands projets d’ingénierie et d’infrastructure publique dans les zones les plus touchées. De même, plusieurs marchés communautaires sont menacés de forclusion. Ces contraintes ont un impact direct sur le secteur de la santé publique notamment avec les emplois perdus, les difficultés de fourniture et d’acheminement des médicaments essentiels, et le niveau de santé de la communauté.

Les impacts de Boko Haram sur les communautés agricoles ne peuvent pas passer inaperçu. Les attaques dans de nombreux villages obligent les agriculteurs à abandonner leurs terres agricoles. En conséquence, les fermes et les cultures sont abandonnées. Une évaluation par le Ministère de l’Agriculture et du Développement rural du Cameroun (MINADER) dans trois (3) des Départements les plus touchés de l’extrême nord en 2015 (Mayo-Sava, du Mayo-Tsanaga, et du Logone-et-Chari), a permis de constater qu’environ soixante-dix pour cent des agriculteurs ont abandonné leurs fermes . Lorsque les agriculteurs ne font pas de récoltes de leur principale source de revenus, l’inflation des prix des denrées alimentaires suit, et, malheureusement, les personnes déplacées ne disposent pas du pouvoir d’achat suffisant pour obtenir les produits de base. Les prix des denrées de base, comme le maïs, le sorgho, et l’essence, ont augmenté de 20 à 80 pour cent depuis Mars 2014, selon MINADER. Certaines personnes peuvent même être tentés de recourir à la criminalité et au crime organisé afin d’accéder à la nourriture. Il en résulte un cercle vicieux où la violence engendre une insécurité supplémentaire et la décadence socio-économique qui suit.

Recommandations

Basé sur l’évaluation des conséquences de l’insurrection de Boko Haram au Cameroun, quelques recommandations peuvent être formulées.

Tout d’abord, il est important d’avoir de meilleures données pour évaluer l’impact de la guerre sur la santé afin de rendre l’allocation de l’aide humanitaire beaucoup plus efficace. Bien que l’une des conséquences évidentes de l’insécurité et de la guerre est sur la santé des communautés touchées, cela reçoit, cependant relativement peu d’attention lors des débats de Santé Publique. Cela peut être parce que, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 0,3% de tous les décès dans le monde sont dus à la violence directe lors des conflits, et nous ne savons pas actuellement de combien le taux de mortalité est augmenté en raison de l’incidence accrue des maladies infectieuses, et l’augmentation de la prévalence des maladies transmissibles dans le long terme. Cela peut expliquer pourquoi la guerre a reçu relativement peu d’attention par les experts de la Santé Publique. Comparé à des maladies telles que le VIH / SIDA, le paludisme et les maladies infantiles, la mortalité liée à la guerre est faible et les effets indirects de la guerre sur les maladies transmissibles est très difficile à estimer.

L’insurrection de Boko Haram est une sonnette d’alarme pour les décideurs politiques au Cameroun et les organismes de santé internationaux afin de fournir l’aide humanitaire adéquate. Les agents de santé et des produits de santé, y compris les vaccins, doivent être déployés dans les deux camps officiels et les camps non officiels. Les efforts devraient se concentrer sur la façon de réintégrer le retour des réfugiés, et sur le renforcement des capacités pour la préparation précoce des éventuelles urgences humanitaires futures.

À long terme, la formation des conseillers en traumatisme et la création d’institutions et de structures de soutien à l’économie en temps de guerre peut être encouragée comme un moyen d’étudier et de comprendre l’impact et les réalités rencontrées par les communautés victimes.

***

Julienne Stephanie1 squareJulienne Stéphanie Nouetchognou est une analyste de la politique de la santé à l’Institut Politique Nkafu, un organe de réflexion camerounais à la Fondation Denis et Lenora Foretia à Yaoundé. Elle peut être contactée sur [email protected].

+ posts